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capital de l’alternance ; mais elle ne se distingue du phénomène général par aucun caractère particulier.

On voit que l’alternance est d’ordinaire distribuée entre plusieurs termes de façon régulière, et qu’elle coïncide avec une opposition importante de fonction, de catégorie, de détermination. On peut parler de lois grammaticales d’alternances ; mais ces lois ne sont qu’un résultat fortuit des faits phonétiques qui leur ont donné naissance. Ceux-ci créant une opposition phonique régulière entre deux séries de termes présentant une opposition de valeur, l’esprit s’empare de cette différence matérielle pour la rendre significative et lui faire porter la différence conceptuelle (voir p. 121 sv.). Comme toutes les lois synchroniques, celles-ci sont de simples principes de disposition sans force impérative. Il est très incorrect de dire, comme on le fait volontiers, que le a de Nacht se change en ä dans le pluriel Nächte ; cela donne l’illusion que de l’un à l’autre terme il intervient une transformation réglée par un principe impératif. En réalité nous avons affaire à une simple opposition de formes résultant de l’évolution phonétique. Il est vrai que l’analogie, dont il va être question, peut créer de nouveaux couples offrant la même différence phonique (cf. Kranz : Kränze sur Gast : Gäste, etc.). La loi semble alors s’appliquer comme une règle qui commande à l’usage au point de le modifier. Mais il ne faut pas oublier que dans la langue ces permutations sont à la merci d’influences analogiques contraires, et cela suffit à marquer que les règles de cet ordre sont toujours précaires et répondent entièrement à la définition de la loi synchronique.

Il peut arriver aussi que la condition phonétique qui a provoqué l’alternance soit encore manifeste. Ainsi les couples cités p. 217 avaient en vieux haut allemand la forme : geban : gibit, feld : gafildi, etc. À cette époque, quand le radical était suivi d’un i, il apparaissait lui--