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aiw ; puis, comme tout w final se change en o, on a eu ēo; à son tour ēo a passé à eo, io, d’après d’autres règles tout aussi générales ; io a donné ensuite ie, je, pour aboutir en allemand moderne à (cf. « das schönste, was ich je gesehen habe »).

À ne considérer que le point de départ et le point d’arrivée, le mot actuel ne renferme plus un seul des éléments primitifs ; cependant chaque étape, prise isolément, est absolument certaine et régulière ; en outre chacune d’elles est limitée dans son effet, mais l’ensemble donne l’impression d’une somme illimitée de modifications. On ferait les mêmes constatations sur le latin calidum, en le comparant d’abord sans transition avec ce qu’il est devenu en français moderne (šọ, écrit « chaud »), puis en rétablissant les étapes : calidum, calidu, caldu, cald, calt, tšalt, tšaut, šaut, šọt, šọ. Comparez encore lat. vulg. *waidanjugẽ (écrit, « gain »), minusmwẽ (écrit « moins »), hoc illīwi (écrit « oui »).

Le phénomène phonétique est encore illimité et incalculable en ce sens qu’il atteint n’importe quelle espèce de signe, sans faire de distinction entre un adjectif, un substantif, etc., entre un radical, un suffixe, une désinence, etc. Il doit en être ainsi a priori, car si la grammaire intervenait, le phénomène phonétique se confondrait avec le fait synchronique, chose radicalement impossible. C’est là ce qu’on peut appeler le caractère aveugle des évolutions de sons.

Ainsi en grec s est tombé après n non seulement dans *khānses « oies », *mēnses « mois » (d’où khênes, mênes), où il n’avait pas de valeur grammaticale, mais aussi dans les formes verbales du type *etensa, *ephansa, etc. (d’où éteina, éphēna, etc.), où il servait à caractériser l’aoriste. En moyen haut allemand les voyelles posttoniques ĭ ĕ ă ŏ ont pris le timbre uniforme e (gibilGiebel, meistarMeister), bien que la différence de timbre caractérisât