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rer cette étude de la syntaxe, on allègue que cette dernière, a pour objet les fonctions attachées aux unités linguistiques tandis que la morphologie n’envisage que leur forme ; elle se contente par exemple de dire que le génétif du grec phúlax « gardien » est phúlakos, et la syntaxe renseigne sur l’emploi de ces deux formes.

Mais cette distinction est illusoire : la série des formes du substantif phúlax ne devient paradigme de flexion que par la comparaison des fonctions attachées aux différentes formes ; réciproquement, ces fonctions ne sont justiciables de la morphologie que si à chacune d’elles correspond un signe phonique déterminé. Une déclinaison n’est ni une liste de formes ni une série d’abstractions logiques, mais une combinaison de ces deux choses (voir p. 144) : formes et fonctions sont solidaires, et il est difficile, pour ne pas dire impossible, de les séparer. Linguistiquement, la morphologie n’a pas d’objet réel et autonome ; elle ne peut constituer une discipline distincte de la syntaxe.

D’autre part, est-il logique d’exclure la lexicologie de la grammaire ? A première vue les mots, tels qu’ils sont enregistrés dans le dictionnaire, ne semblent pas donner prise à l’étude grammaticale, qu’on limite généralement aux rapports existants entre les unités. Mais tout de suite on constate qu’une foule de ces rapports peuvent être exprimés aussi bien par des mots que par des moyens grammaticaux. Ainsi en latin fīō et faciō s’opposent de la même manière que dīcor et dīcō, formes grammaticales d’un même mot ; en russe la distinction du perfectif et de l’imperfectif est rendue grammaticalement dans sprosít’ : sprášivat’ « demander », et lexicologiquement dans skazát’ : govorít’ « dire ». On attribue généralement les prépositions à la grammaire ; pourtant la locution prépositionnelle en considération de est essentiellement lexicologique, puisque le mot considération y figure avec son sens propre. Si l’on compare grec peíthō : peíthomai avec franç. je persuade :