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nique, comme une sonorité déterminée est une qualité du concept.

On a souvent comparé cette unité à deux faces avec l’unité de la personne humaine, composée du corps et de l’âme. Le rapprochement est peu satisfaisant. On pourrait penser plus justement à un composé chimique, l’eau par exemple ; c’est une combinaison d’hydrogène et d’oxygène ; pris à part, chacun de ces éléments n’a aucune des propriétés de l’eau.

2° L’entité linguistique n’est complètement déterminée que lorsqu’elle est délimitée, séparée de tout ce qui l’entoure sur la chaîne phonique. Ce sont ces entités délimitées ou unités qui s’opposent dans le mécanisme de la langue.

Au premier abord on est tenté d’assimiler les signes linguistiques aux signes visuels, qui peuvent coexister dans l’espace sans se confondre, et l’on s’imagine que la séparation des éléments significatifs peut se faire de la même façon, sans nécessiter aucune opération de l’esprit. Le mot de « forme » dont on se sert souvent pour les désigner — cf. les expressions « forme verbale », « forme nominale » — contribue à nous entretenir dans cette erreur. Mais on sait que la chaîne phonique a pour premier caractère d’être linéaire (voir p. 103). Considérée en elle-même, elle n’est qu’une ligne, un ruban continu, où l’oreille ne perçoit aucune division suffisante et précise ; pour cela il faut faire appel aux significations. Quand nous entendons une langue inconnue, nous sommes hors d’état de dire comment la suite des sons doit être analysée ; c’est que cette analyse est impossible si l’on ne tient compte que de l’aspect phonique du phénomène linguistique. Mais quand nous savons quel sens et quel rôle il faut attribuer à chaque partie de la chaîne, alors nous voyons ces parties se détacher les unes des autres, et le ruban amorphe se découper en fragments ; or cette analyse n’a rien de matériel.