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« passage » de t à th. Les formes de ce mot ne peuvent s'expliquer qu’historiquement, par la chronologie relative. Le thème primitif *thrikh, suivi de la désinence -si, a donné thriksí, phénomène très ancien, identique à celui qui a produit léktron, de la racine lekh-. Plus tard, toute aspirée suivie d'une autre aspirée dans le même mot a passé à la sourde, et *thríkhes est devenu tríkhes : thriksí échappait naturellement à cette loi.

§ 9.

Conclusions.

Ainsi la linguistique se trouve ici devant sa seconde bifurcation. Il a fallu d’abord choisir entre la langue et la parole (voir p. 36) ; nous voici maintenant à la croisée des routes qui conduisent l’une, à la diachronie, l’autre à la synchronie.

Une fois en possession de ce double principe de classification, on peut ajouter que tout ce qui est diachronique dans la langue ne l’est que par la parole. C’est dans la parole que se trouve le germe de tous les changements : chacun d’eux est lancé d’abord par un certain nombre d'individus avant d’entrer dans l’usage. L’allemand moderne dit : ich war, wir waren, tandis que l’ancien allemand, jusqu’au XVIe siècle, conjuguait : ich was, wir waren (l’anglais dit encore : I was, we were). Comment s’est effectuée cette substitution de war à was ? Quelques personnes, influencées par waren, ont créé war par analogie ; c’était un fait de parole ; cette forme, souvent répétée, et acceptée par la communauté, est devenue un fait de langue. Mais toutes les innovations de la parole n’ont pas le même succès, et tant qu’elles demeurent individuelles, il n’y a pas à en tenir compte, puisque nous étudions la langue ; elles ne rentrent dans notre champ d’observation qu’au moment où la collectivité les a accueillies.

Un fait d’évolution est toujours précédé d’un fait, ou plu-