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Pour les faits sémantiques, on s’en rend compte immédiatement ; si le français poutre « jument » a pris le sens de « pièce de bois, solive », cela est dû à des causes particulières et ne dépend pas des autres changements qui ont pu se produire dans le même temps ; ce n'est qu’un accident parmi tous ceux qu'enregistre l’histoire d’une langue.

Pour les transformations syntaxiques et morphologiques, la chose n’est pas aussi claire au premier abord. A une certaine époque presque toutes les formes de l’ancien cas sujet ont disparu en français ; n’y a-t-il pas là un ensemble de faits obéissant à la même loi ? Non, car tous ne sont que les manifestations multiples d’un seul et même fait isolé. C'est la notion particulière de cas sujet qui a été atteinte et sa disparition a entraîné naturellement celle de toute une série de formes. Pour quiconque ne voit que les dehors de la langue, le phénomène unique est noyé dans la multitude de ses manifestations ; mais lui-même est un dans sa nature profonde, et il constitue un événement historique aussi isolé dans son ordre que le changement sémantique subi par poutre ; il ne prend l’apparence d’une loi « que parce qu’il se réalise dans un système : c’est l’agencement rigoureux de ce dernier qui crée l’illusion que le fait diachronique obéit aux mêmes conditions que le synchronique.

Pour les changements phonétiques enfin, il en est exactement de même ; et pourtant on parle couramment de lois phonétiques. On constate en effet qu’à un moment donné, dans une région donnée, tous les mots présentant une même particularité phonique sont atteints du même changement ; ainsi la loi 1 de la page 130 (*dhūmos → grec thūmós) frappe tous les mot grecs qui renfermaient une sonore aspirée (cf. *nebhosnéphos, *medhuméthu, *anghōánkhō, etc.) ; la règle 4 (*septmheptá) s’applique à serpōhérpo, *sūshûs, et à tous les mots commençant par s. Cette régularité, qu’on a quelquefois contestée, nous paraît très bien établie ; les exceptions apparentes n’atté-