Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

termes coexistants : c’est une loi synchronique. Il en est de même de la troisième, puisqu’elle concerne l’unité du mot et sa fin. Les lois 4, 5 et 6 sont diachroniques : ce qui était s est devenu h ; — n a remplacé m ; — t, k, etc., ont disparu sans laisser de trace.

Il faut remarquer en outre que 3 est le résultat de 5 et 6 ; deux faits diachroniques ont créé un fait synchronique.

Une fois ces deux catégories de lois séparées, on verra que 2 et 3 ne sont pas de même nature que 1, 4, 5, 6.

La loi synchronique est générale, mais elle n’est pas impérative. Sans doute elle s’impose aux individus par la contrainte de l’usage collectif (v. p. 107), mais nous n’envisageons pas ici une obligation relative aux sujets parlants. Nous voulons dire que dans la langue aucune force ne garantit le maintien de la régularité quand elle règne sur quelque point. Simple expression d’un ordre existant, la loi synchronique constate un état de choses ; elle est de même nature que celle qui constaterait que les arbres d’un verger sont disposés en quinconce. Et l’ordre qu’elle définit est précaire, précisément parce qu’il n’est pas impératif. Ainsi rien n’est plus régulier que la loi synchronique qui régit l’accent latin (loi exactement comparable à 2) ; pourtant ce régime accentuel n’a pas résisté aux facteurs d'altération, et il a cédé devant une loi nouvelle, celle du français (voir plus haut p. 122 sv.). En résumé, si l’on parle de loi en synchronie, c’est dans le sens d’arrangement, de principe de régularité.

La diachronie suppose au contraire un facteur dynamique par lequel un effet est produit, une chose exécutée. Mais ce caractère impératif ne suffit pas pour qu’on applique la notion de loi aux faits évolutifs ; on ne parle de loi que lorsqu’un ensemble de faits obéissent à la même règle, et malgré certaines apparences contraires, les événements diachroniques ont toujours un caractère accidentel et particulier.