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seulement ne nécessite pas, mais repousse une semblable spécialisation ; les termes qu’elle considère n'appartiennent pas forcément à une même langue (comparez l’indo-européen *esti, le grec ésti, l'allemand ist, le français est). C’est justement la succession des faits diachroniques et leur multiplication spatiale qui crée la diversité des idiomes. Pour justifier un rapprochement entre deux formes, il suffit qu'elles aient entre elles un lien historique, si indirect soit-il.

Ces oppositions ne sont pas les plus frappantes, ni les plus profondes : l'antinomie radicale entre le fait évolutif et le fait statique a pour conséquence que toutes les notions relatives à l'un ou à l’autre sont dans la même mesure irréductibles entre elles. N'importe laquelle de ces notions peut servir à démontrer cette vérité. C'est ainsi que le « phénomène » synchronique n'a rien de commun avec le diachronique (voir p. 122) ; l’un est un rapport entre, éléments simultanés, l’autre la substitution d'un élément à un autre dans le temps, un événement. Nous verrons aussi p. 150 que les identités diachroniques et synchroniques sont deux choses très différentes : historiquement la négation pas est identique au substantif pas, tandis que, pris dans la langue d’aujourd'hui, ces deux éléments sont parfaitement distincts. Ces constatations suffiraient pour nous faire comprendre la nécessité de ne pas confondre les deux points de vue ; mais nulle part elle ne se manifeste plus évidemment que dans la distinction que nous allons faire maintenant.

§ 6.

Loi synchronique et loi diachronique.

On parle couramment de lois en linguistique ; mais les faits de la langue sont-ils réellement régis par des lois et de quelle nature peuvent-ils être ? La langue étant une institution sociale, on peut penser a priori qu'elle est