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apparent — ils n’ont pas une égale importance. Sur ce point, il est évident que l'aspect synchronique prime l’autre, puisque pour la masse parlante il est la vraie et la seule réalité (voir p. 117). Il en est de même pour le linguiste : s’il se place dans la perspective diachronique, ce n’est plus la langue qu’il aperçoit, mais une série d’événements qui la modifient. On affirme souvent que rien n’est plus important que de connaître la genèse d’un état donné ; c’est vrai dans un certain sens : les conditions qui ont formé cet état nous éclairent sur sa véritable nature et nous gardent de certaines illusions (voir p. 121 sv.) ; mais cela prouve justement que la diachronie n’a pas sa fin en elle-même. On peut dire d’elle ce qu’on a dit du journalisme : elle mène à tout à condition qu’on en sorte.

Les méthodes de chaque ordre diffèrent aussi, et de deux manières :

a) La synchronie ne connaît qu’une perspective, celle des sujets parlants, et toute sa méthode consiste à recueillir leur témoignage ; pour savoir dans quelle mesure une chose est une réalité, il faudra et il suffira de rechercher dans quelle mesure elle existe pour la conscience des sujets. La linguistique diachronique, au contraire, doit distinguer deux perspectives, l’une, prospective, qui suit le cours du temps l’autre rétrospective, qui le remonte : d’où un dédoublement de la méthode dont il sera question dans la cinquième partie.

b) Une seconde différence découle des limites du champ qu’embrasse chacune des deux disciplines. L’étude synchronique n’a pas pour objet tout ce qui est simultané, mais seulement l’ensemble des faits correspondant à chaque langue ; dans la mesure où cela sera nécessaire, la séparation ira jusqu’aux dialectes et aux sous-dialectes. Au fond le terme de synchronique n’est pas assez précis ; il devrait être remplacé par celui, un peu long il est vrai, de idiosynchronique. Au contraire la linguistique diachronique non