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bien que la narration des événements, on pourrait s’imaginer qu’en décrivant des états de la langue succesifs on étudie la langue selon l’axe du temps ; pour cela, il faudrait envisager séparément les phénomènes qui font passer la langue d’un état à un autre. Les termes d’évolution et de linguistique évolutive sont plus précis, et nous les emploierons souvent ; par opposition on peut parler de la science des états de langue ou linguistique statique.

Mais pour mieux marquer cette opposition et ce croisement de deux ordres de phénomènes relatifs au même objet, nous préférons parler de linguistique synchronique et de linguistique diachronique. Est synchronique tout ce qui se rapporte à l’aspect statique de notre science, diachronique tout ce qui a trait aux évolutions. De même synchronie et diachronie désigneront respectivement un état de langue et une phase d’évolution.

§ 2.

La dualité interne et l’histoire de la linguistique.

La première chose qui frappe quand on étudie les faits de langue, c’est que pour le sujet parlant leur succession dans le temps est inexistante : il est devant un état. Aussi le linguiste qui veut comprendre cet état doit-il faire table rase de tout ce qui l’a produit et ignorer la diachronie. Il ne peut entrer dans la conscience des sujets parlants qu’en supprimant le passé. L’intervention de l’histoire ne peut que fausser son jugement. Il serait absurde de dessiner un panorama des Alpes en le prenant simultanément de plusieurs sommets du Jura ; un panorama doit être pris d’un seul point. De même pour la langue : on ne peut ni la décrire ni fixer des normes pour l’usage qu’en se plaçant dans un certain état. Quand le linguiste suit l’évolution de la langue, il ressemble à l’observateur en mouvement qui va d’une extrémité à l’autre du Jura pour noter les déplacements de la perspective.