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signe est dans le cas de s’altérer parce qu’il se continue. Ce qui domine dans toute altération, c’est la persistance de la matière ancienne ; l’infidélité au passé n’est que relative. Voilà pourquoi le principe d’altération se fonde sur le principe de continuité.

L’altération dans le temps prend diverses formes, dont chacune fournirait la matière d’un important chapitre de linguistique. Sans entrer dans le détail, voici ce qu’il est important de dégager.

Tout d’abord, ne nous méprenons pas sur le sens attaché ici au mot altération. Il pourrait faire croire qu’il s’agit spécialement des changements phonétiques subis par le signifiant, ou bien des changements de sens qui atteignent le concept signifié. Cette vue serait insuffisante. Quels que soient les facteurs d’altérations, qu’il agissent isolément ou combinés, ils aboutissent toujours à un déplacement du rapport entre le signifié et le signifiant.

Voici quelques exemples. Le latin necāre signifiant « tuer » est devenu en français noyer, avec le sens que l’on connaît. Image acoustique et concept ont changé tous les deux ; mais il est inutile de distinguer les deux parties du phénomène ; il suffit de constater in globo que le lien de l’idée et du signe s’est relâché et qu’il y a eu un déplacement dans leur rapport. Si au lieu de comparer le necāre du latin classique avec notre français noyer, on l’oppose au necare du latin vulgaire du IVe ou du Ve siècle, signifiant « noyer », le cas est un peu différent ; mais ici encore, bien qu’il n’y ait pas altération appréciable du signifiant, il y a déplacement du rapport entre l’idée et le signe.

L’ancien allemand dritteil, « le tiers », est devenu en allemand moderne Drittel. Dans ce cas, quoique le concept soit resté le même, le rapport a été changé de deux façons : le signifiant a été modifié non seulement dans son aspect matériel, mais aussi dans sa forme grammaticale ; il n’implique plus l’idée de Teil ; c’est un mot simple. D’une