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Je sçay bien qu’il y a des gens qui ne prennent pas plaisir qu’on parle et qu’on escrive ainsy librement, et s’offensent au premier mot qu’on ramentoit[1] nos afflictions passées ; comme si, aprés tant de pertes, ils nous vouloient encore oster le sentiment, et la langue, et la parole, et la liberté de nous plaindre. Mais ils feroient pis que Phalaris ne faisoit à ceux qu’il escoufoit dans son veau d’airain : car il ne les empeschoit point de crier, sinon qu’il ne vouloit pas ouïr leurs cris comme d’hommes, de peur d’en avoir pitié, ains comme hurlements de bœufs et de taureaux, pour desguiser le son de la voix humaine. Il est mal aysé que ceux qu’on a pillez, volez, emprisonnez en la Bastille, rançonnez et chassez de leur ville et de leurs charges, ne jettent quelque malediction sur ceux qui en sont cause, quand à leur retour ils trouvent leurs maisons vagues, desertes, ruynées, où il n’y a plus que les murailles, au lieu qu’ils les avoient laissées richement meublées, et accommodées de toutes choses. Qui pourra jamais estouper la bouche à la postérité, et l’empescher de parler du Tiers-party et de ceux qui l’ont enfanté et allaité, et qui le tiennent encore renfermé en chambre, le nourrissent et substantent de bonnes viandes, pour le mettre un jour en lumiere et le faire veoir tout formé et tout grand, quand ils en verront le temps et la commodité ? Jamais ne fut et ne sera (quelques loix et ordonnances qu’on y puisse faire) que la medisance ne soit mieux receue que la louange, mesmement quand elle est tirée de la verité, et qu’il n’y ait cent fois plus de plaisir à

  1. Qu’on rappelle, du verbe ramentevoir.