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SATIRE VI.

Du vieillard de Samos abjurant la chimère,
Il cessait de rêver qu’il fût Quintus Homère.
Oui, c’est là qu’en effet coulant en paix mes jours,
D’un vulgaire ignorant je brave les discours ;
C’est là que de l’Auster défiant la furie,
Je vois mes bœufs sans crainte errer dans la prairie ;
Que, libre de remords, de soins ambitieux,
Je vois, sans en sécher d’un dépit envieux,
Mon voisin dans son champ amonceler les gerbes.
Quoi ! parce qu’un Davus, paré de noms superbes,
Est monté de la fange aux emplois les plus hauts,
Je m’en affligerai, j’en perdrai le repos !
J’irai, maigre vieillard, chancelant avant l’âge,
Me nourrir de pain bis par esprit de ménage,
Et visiter cent fois, le nez sur le cachet,
Un reste de flacon aigri dans mon buffet !
Non, jamais. Qu’ici-bas chacun ait son système,
Soit : souvent deux jumeaux ne pensent pas de même.
L’un, d’un peu de saumure achetée en détail,
Arrosant de ses mains une salade d’ail,
D’un poivre qu’il disperse en légère rosée,
Aux bons jours seulement y jette une pincée ;
L’autre, à grands coups de dents, magnanime héritier,
Expédie en un jour son patrimoine entier.
Pour moi, de tout le bien qui m’échut en partage,
Tant que j’existerai, je prétends faire usage ;
Mais je ne prétends point, prodiguant les morceaux,
Ne nourrir pour cela mes gens que de perdreaux,
Ni me faire un mérite, aux yeux de mes convives,
De parler en gourmand de turbots et de grives.