Page:Satires d'Horace et de Perse.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
SATIRE V.

À ce discours brutal, à ces cris de fureur,
Vous n’êtes point troublé ; mais, si dans votre cœur
Cent vices en tyrans viennent loger ensemble,
Êtes-vous plus heureux que cet enfant qui tremble,
Qui frémit en portant les frottoirs de Crispin ?
Dans les bras du repos vous dormez le matin.
— Debout, dit l’avarice, allons, debout, te dis-je.
— Il n’est pas temps encor. — Lève-toi, je l’exige.
— Je ne puis. — Lève-toi. — Mais pourquoi faire enfin ?
— Pourquoi ? l’ignores-tu ? Pour traverser l’Euxin ;
Pour aller, au-delà de cette mer lointaine,
Chercher l’encens, le poivre et le chanvre et l’ébène.
Cours donc, et prévenant le retour des chameaux,
Enlève le premier leurs plus riches fardeaux ;
Trafique, achète, vends, sois fripon, sois corsaire.
— Jupiter me verrait, et je crains sa colère.
— Pauvre sot ! si tu crains la colère des dieux,
Si tu veux à tout prix vivre en paix avec eux,
Par tes vaines terreurs réduit à la misère,
Résous-toi pour toujours à faire maigre chère.
Mais non : tout se dispose, et je vous vois à bord.
Mille esclaves chargés s’empressent dans le port ;
Vos effets sous leurs mains s’entassent, s’amoncellent ;
Les matelots sont prêts ; les zéphirs vous appellent ;
Rien ne met plus d’obstacle à votre prompt départ ;
Mais, dans le même instant, vous tirant à l’écart,
J’entends la volupté qui, d’une voix plus douce,
Malheureux ! quelle est donc cette ardeur qui te pousse ?
Quel est ce feu brûlant dont à peine, en ton cœur,
Une urne de ciguë éteindrait la chaleur ?