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Êtes-vons donc mon maître, ô vous que tant de causes
Soumettent au pouvoir des hommes et des choses !
Vous que des passions qui troublent votre cœur
Ne pourraient affranchir trois soufflets du prêteur ?
Mais écoutez encore un argument plus grave :
Si l’homme qui subit le joug d’un autre esclave,
N’est qu’un esclave aussi, que suis-je à votre égard ?
Les dieux sous votre loi m’ont rangé par hazard ;
Mais, recevant des fers comme on porte les vôtres,
N’êtes-vous pas vous-même asservi par mille autres,
Tel que ce léger buis qu’on voit tourbillonner
Sous l’action du fouet qui le force à tourner ?
— Quel est donc, selon toi, le mortel vraiment libre ?
— Celui qui de son cœur, dans un juste équilibre,
Maintient par la raison les mouvemens divers :
Qui ne craint ni la soif, ni la faim, ni les fers :
Qui dompte ses penchans : qui, d’un regard stoïque,
Contemple des grandeurs la pompe magnifique :
Qui sur un plan uni, comme un globe parfait,
Sans obstacle, en roulant, achève son trajet ;
Et qui, se repliant tout entier en lui-même,
Hors des coups du destin met le bonheur suprême.
Eh bien ! que dites-vous, mon maître, à ce portrait ?
Vous y retrouvez-vous du moins à quelque trait ?
Une avare beauté vous vole, vous outrage,
Vous chasse et d’un seau d’eau vous inonde au passage :
Puis elle vous rappelle. Ah ! plus prudent enfin,
D’un honteux esclavage osez rompre le frein :
Osez-vous écrier : Je suis libre, et veux l’être.
Mais non : vous vous sentez sous l’aiguillon d’un maître :