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LES FEMMES FORTES.

lottée et faire naufrage, quel bonheur !… Au moins cela changerait l’heure des repas !

JENNY, soupirant.

Si seulement on avait le droit de rêver à son aise !

GABRIELLE.

Oui, c’est bon pour toi, qui passes ta journée à lire des romans. Mais moi, il faut que je m’agite, que je me déplace, que je coure… (Allant et venant.)sm Je suis ici comme une lionne en cage, je voudrais égratigner quelqu’un, et je sais bien qui !

JENNY.

Et moi aussi. C’est mademoiselle Claire. (Elle se lève.)

GABRIELLE.

Voilà une compagnie que papa avait bien besoin de nous donner avant son départ !

JENNY.

Au lieu de nous confier à notre tante Toupart qui loge au deuxième étage !

GABRIELLE.

Une demoiselle qui fait du zèle, sous prétexte que papa est son parrain, qui prend ses fonctions de chaperon au sérieux, nous défend de sortir à nos heures…

JENNY.

De lire les livres qui nous plaisent…

GABRIELLE.

N’a en tête que nos leçons, les convenances, la morale et autres soins domestiques.

JENNY.

Prosaïque comme un livre de cuisine !…

GABRIELLE.

Et avec cela si douce, si prévenante, si bonne, qu’elle a trouvé le moyen de n’être jamais dans son tort, ce qui fait qu'on enrage encore bien plus, parce qu’on ne peut rien lui reprocher.

JENNY.

Comme c’est gai ! (L’heure sonne.) Ah !

GABRIELLE.

Quoi donc ?

JENNY.

Rien ! (À elle-même.) Une heure ! Il va passer.