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ACTE DEUXIÈME.

met de vaincre la malice des autres et nos propres défauts, je ne sais rien de plus désirable ; mais si la force consiste pour vous à lutter avec ces messieurs de vigueur, d’audace et de laisser-aller, j’avoue que je suis bien résolue à rester faible toute ma vie !

MADAME LAHORIE.

À ce compte, mademoiselle ne voit aucun avantage pour une jeune femme à pouvoir se conduire et se protéger elle-même.

CLAIRE.

Cela vaut-il, madame, à votre avis, la douceur de s’appuyer sur le bras de celui qu’on aime ?
(Gabrielle détache la clef du trousseau de Claire. Elle se lève vivement et sans bruit, et passe derrière tout te monde en traversant la scène, au fond.)

TOUPART.

Très-bien ! (Sa femme lui impose silence d’un coup d’oeil.)

MADAME TOUPART.

Bref ! Il faut nous abêtir, n’est-ce pas ? Et borner notre ambition à repriser des serviettes et à ourler des mouchoirs ?

CLAIRE, n’apercevant plus Gabrielle auprès d’elle, regarde son trousseau et s’aperçoit de la disparition de la clef. À part.

Elle a pris la clef !… Ah ! tu ne la garderas pas longtemps, cette clef !… (Elle reprend la conversation tout en observant Jenny et Gabrielle.) Oh ! que non ! madame ! Je nous crois au contraire le droit de savoir tout ce que nous sommes capables d’apprendre.

LES FEMMES, vivement.

Eh bien ! alors… (Gabrielle est arrivée près de Jenny ; elle lui donne la clef en cachette ; Jenny se lève doucement, Gabrielle prend sa place sur le canapé, et Jenny, debout derrière elle, attend le moment de gagner la porte sans être vue.)

CLAIRE.

Mais c’est afin que nous soyons (à madame Toupart) plus sensées… (à madame Lahorie) plus douces… (à Deborah) plus séduisantes ; et pour tout dire en un mot, plus femmes ! Autrement tout ce que l’on gagne ne vaut pas ce que l’on perd !… Que madame Toupart lise, médite, écrive même, j’applaudis des deux mains, si elle a du talent ! mais ce que je regrette : c’est qu’elle n’écrive plus sa dépense. (À ce moment Jenny se dirige vers le fond.) Miss Deborah prétend nous guérir, je le veux bien… (Aux hommes.) Mais la voyez-vous disséquer ! Que madame Lahorie voyage, rien de mieux ! Mais sa vertu sera-t-elle mieux portante quand elle aura dormi sous la tente du Bédouin. Enfin (elle se lève brusquement en regar-