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LES FEMMES FORTES.

JEAN.

On s’y met, monsieur.

LAZAROWITCH, mystérieusement.

Chut !… Dites tout bas à mademoiselle Jenny que M. Lazarowitch désire lui parler tout de suite.

JEAN, hésitant.

Moi, monsieur ?

LAZAROWITCH.

Hein ! ah ! oui, je comprends ! (Il se fouille.) C’est ruineux, d’être prince… monténégrin surtout ! un peuple neuf ! On attend beaucoup des Monténégrins. — Tiens ! (Il lui donne une pièce d’or.)

JEAN.

Je vais la prévenir tout de suite, monsieur, (Il se dirige vers la porte de gauche, et arrivé près du seuil il répète :) Tout de suite.

LAZAROWITCH, seul.

C’est un drôle ! Un mauvais serviteur !… heureusement ! car il n’y a pas à dire… il faut que je parte ce soir, moi !… Ce télégramme de Paris est parfaitement clair… : pour moi ! (il lit) « On sait que tu es à Marville, et toute la société est en route. » — Toute ma société, ce sont mes créanciers ! Des maladroits qui me feraient manquer le plus joli mariage ! Il est vrai que jusqu’ici cette chasse à l’héritière me coûte plus qu’elle ne me rapporte. — J’en suis las, des promenades sentimentales et vertueuses sur les falaises et des ballades du Monténégro que je lui chante en alsacien ! Il est temps de brusquer le dénoûment ! — Un bon scandale ! la demoiselle compromise, les parents trop heureux de m’accorder sa main. Voilà le but !… Un rendez-vous ce soir, sous prétexte d’adieux… Voilà le moyen ! Et si elle n’est pas demain à Londres avec moi… c’est que décidément je ne suis qu’un sot ! — La voilà !


Scène X

.

JENNY, LAZAROWITCH.
(La scène à demi-voix. Jenny inquiète.)
JENNY, sortant de la salle à manger.

Déjà ?

LAZAROWITCH.

Ah ! Jenny !… je pars ce soir !