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ACTE PREMIER.

CLAIRE.

Mais…

QUENTIN.

Mais pourquoi pas des grilles aux fenêtres, pourquoi pas des muets ? Pourquoi pas des… ?

CLAIRE.

Mais je croyais…

QUENTIN.

Et tu oses te vanter de tes exploits à un homme qui revient d’un pays où les filles font toutes seules des voyages de trois, six et neuf mois… où elles reçoivent qui elles veulent, comme elles veulent, et si l’omnibus est complet, vont s’asseoir modestement sur les genoux des voyageurs…

CLAIRE.

Il est certain que je ne leur ai pas appris…

QUENTIN, sans l’écouter.

Et c’est le tort !… Est-ce que je veux, moi, que mes filles soient des petites niaises, des petites dindes, comme ces poupées qui ne savent dire que papa et maman. Pour que mon neveu Jonathan éclate de rire quand je lui proposerai d’en épouser une… Il me faut, morbleu, des jeunes filles résolues, viriles, des femmes fortes, élevées à l’anglaise et à l’américaine, en pleine liberté.

CLAIRE.

Pourtant, mon parrain…

QUENTIN, sans l’écouter.

Car la première condition pour agir bien, c’est d’être en mesure de mal faire; car la femme a droit à sa part d’instruction, de soleil, de plaisirs et de droits politiques aussi bien que l’homme ; car les femmes ne sont pas faites pour rester femmes, ni les jeunes filles pour rester jeunes filles, et quand les jeunes filles seront femmes, si on ne les a pas traitées comme des femmes quand elles étaient jeunes filles, elles ne seront que de mauvaises femmes… puisqu’il faut Être nécessairement jeune fille pour devenir femme, et qu’il n’y a pas de femme qui n’ait été préalablement jeune fille.

CLAIRE.

Mais je ne comprends pas.

QUENTIN.

Pot-au-feu ! pot-au-feu ! pot-au-feu !