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ACTE PREMIER.

pas beaucoup ; tu sais !… Un gaillard qui a quitté la maison paternelle à seize ans (j’en avais dix) à la suite d’une dispute avec mon père, dans un grand dîner, et qui s’est sauvé en tirant à lui la nappe, avec les plats, les verres, les sauces, les bougies…

CLAIRE.

Ah ! mon Dieu !

QUENTIN.

Oui, ce n’est pas d’un homme ordinaire, cela…

CLAIRE.

Non !…

QUENTIN.

Aussi, il a fait fortune là-bas, le farceur ! Ces Américains aiment les caractères bien tranchés !… Il a monté une scierie mécanique en grand, il a bâti des maisons, des maisons de bois, mobiles.

CLAIRE.

Encore une chose dont on ne se doute pas ici !…

QUENTIN.

Ah ! non ! Mais on vous plante une maison, là-bas, comme on plante un arbre ; tellement que, pendant mon séjour, on en a volé une…

CLAIRE.

Une maison ?

QUENTIN.

À deux étages ! Quel peuple ! Pour en revenir à mon frère… Au fait, comment s’appelait-il ? Auguste, Antoine, Amédée… enfin, je ne sais plus… Cela commençait par un A… Il s’est marié ! (Tiens ! c’est justement notre oncle Quentin Mascaret qui l’a marié, dans un de ses voyages.) Sa femme est morte, il est mort, et tout cela sans avoir le cœur de m’en écrire un mot !

CLAIRE.

Mais alors…

QUENTIN.

Ah ! voilà où je t’attends… Alors, oui. Mais il a un fils…

CLAIRE.

Ah !

QUENTIN.

Ah ! parbleu ! l’Américain ! Il a bien eu soin d’avoir un fils, pour hériter à sa place.