Page:Sardou - Le Roi Carotte.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ROSÉE-DU-SOIR.

Vous savez cela ?

ROBIN.

Nous autres étudiants, nous sommes si curieux !

ROSÉE-DU-SOIR.

Hélas ! oui, il y a six ans que je n’ai franchi le seuil de cette porte !

ROBIN.

Vous qui habitiez, petite fille, un si beau palais, où vous couriez en liberté dans de si beaux jardins !…

ROSÉE-DU-SOIR, vivement.

Ah ! n’est-ce pas ? C’est vrai !

ROBIN.

Sans doute !

ROSÉE-DU-SOIR.

Ah ! ce que vous me dites là ! j’en ai bien le souvenir ; mais si confus !… Au delà de ces six dernières années, il y a sur ma vie comme un grand nuage !… Ce palais, ces jardins, oui… je les revois, mais comme en rêve ! Et je vois aussi une foule de belles dames et de riches seigneurs empressés à me servir : puis, tout change et devient noir !… noir !… Cette vieille femme m’emporte dans ses bras, malgré mes cris !… m’endort avec je ne sais quel philtre qui éteint ma mémoire ! Et je me retrouve ici, seule en face de ce métier !… sans autres amis que ces quelques fleurs… que les oiseaux qui viennent becqueter les restes de mon pain… et ce rayon de la lune qui console parfois la tristesse de mes longues nuits !…

ROBIN.

Heureusement que cette fenêtre donne sur les jardins de la nouvelle Résidence, et que malgré les grilles il y a là pour vos yeux quelque distraction ! Par exemple… quand le pince Fridolin s’y promène !…

ROSÉE-DU-SOIR, tressaillant.

Le prince !…

ROBIN.

Oui ! ne rougissez pas, chère demoiselle ! Il n’y a point de mal à cela !…

ROSÉE-DU-SOIR, effrayée.

Mais, monsieur… comment savez-vous ?

ROBIN, riant.

Oh ! nous autres étudiants, nous sommes si malins !

ROSÉE-DU-SOIR.

Monsieur, allez-vous-en !… Vous me faites peur !…