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–––––––Mon père, en homme pratique,
–––––––Se disait avec raison :
––––––– « Ventrebleu ! ma fille unique
––––––– « Est un véritable oison !
––––––– « Partons, dit-il, cela presse !… »
–––––––Et pour Paris on partit !
–––––––Seul endroit où la jeunesse
–––––––Se fait le cœur et l’esprit !
–––––––Des meilleures couturières
–––––––J’appris à me costumer,
–––––––Un professeur de manières
–––––––S’offrit à me transformer.
–––––––Et, fidèle à sa méthode,
–––––––Mon cher papa me montra
–––––––Les casinos à la mode
–––––––Et le bal de l’Opéra.
–––––––Il me fit voir les actrices
–––––––Dans des maillots très-collants
–––––––Et manger des écrevisses
–––––––Dans les fameux restaurants !
–––––––Il me fit voir, belle ou laide,
–––––––Chaque cocotte en public,
–––––––Enfin tout ce qui possède
–––––––Du chien, du turf et du chic !
–––––––Le résultat fut splendide !
–––––––Dès la fin du premier mois
–––––––La pensionnaire timide
–––––––Courait à cheval au bois !
–––––––J’étais faite à tout entendre,
–––––––Et mon cœur faisait tic tac,
–––––––Quand quelqu’un osait me prendre
–––––––Pour une dame du lac.
–––––––Il fallait voir, sur ma trace,
–––––––Tous les hommes le matin,
–––––––Quand j’écrivais sur la glace
–––––––Mon nom avec le patin ;
–––––––Ou bien à la Grenouillère,
–––––––En costume très-léger,
–––––––Quand j’y montrais la manière
–––––––Dont la femme doit nager.
–––––––Dans les bals de ministères,
–––––––Aux courses de Chantilly,
–––––––Et dans ma loge, aux premières,
–––––––Quel succès j’ai recueilli !