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LA HAINE.

CORDELIA.

Tu es sauvé !… ne demande rien de plus, et quitte ce logis !… (Elle va pour sortir par la porte de gauche.)

ORSO.

Pas sans savoir à qui je dois mon salut !

CORDELIA.

À Dieu… (Fausse sortie.)

ORSO.

Et à toi ?… Non ! n’est-ce pas ?… Dis-moi bien que cela n’est pas !… Je ne veux pas de ton bienfait, entends-tu ! Je ne veux rien,… rien te devoir !…

CORDELIA, s’oubliant.

Et qui te demande rien pour cela ?… Va-t-en donc !…

ORSO, terrifié.

C’est toi !… (Mouvement de Cordelia pour nier. Lui coupant la parole, avec force.) Ne mens pas !… C’est toi !… (Moment de silence. Il se couvre la figure de ses mains, puis d’une voie sourde, entrecoupée, et luttant contre l’humiliation et l’émotion qui le gagnent.) Ainsi !… tu m’as fait grâce !… Je t’ai fait pitié !… pitié, moi, après ce que !… Mais t’ai-je implorée ?… et si je l’ai fait, dans ma fièvre, devais-tu croire à l’appel d’un homme en délire ?… Ah ! il fallait, plutôt m’achever, c’était là ton devoir, au lieu de m’accabler ainsi de ta clémence !… Le poignard entre nous… Oui !… (Avec une émotion croissante plus forte que lui.) Mais le pardon !… le secours !… le salut ! Juste Dieu ! quel châtiment de mon crime !… Et quel remords de toute ma vie !… (Vaincu par son émotion.) Ah ! cœur de femme !… c’est pourtant sublime ce que tu as fait là !… et il faut bien tomber à tes pieds, écrasé de douleur et de honte !…

CORDELIA.

Que ces larmes te soient comptées au jour du jugement !… Et si tu as vraiment quelque repentir ?…

ORSO.

Oh ! grand Dieu !… si j’en ai !…