Page:Sarcey - Quarante ans de théâtre, t. 4, 1901.djvu/422

Cette page n’a pas encore été corrigée
410
QUARANTE ANS DE THÉATRE

per l’aveu de son amour et déclare en même temps sa résolution formelle de l’oublier pour jamais.

Voilà notre Antony qui part comme un cheval échappé. Il est aimé ! donc il n’y a plus pour lui ni devoirs de reconnaissance, ni respect à la foi jurée, ni liens sociaux ! Il a bien affaire de Jean Baudry ! — Mais c’est votre bienfaiteur, lui dit Fernande. — Eh ! c’est le bienfaiteur de tout le monde ! Il n’en crie que de plus belle contre la richesse, contre la société, contre les femmes qui se vendent ! Il a perdu la tête : il boit coup sur coup de petits verres d’eau-de-vie, et quand on lui en fait la remarque, il brise le verre entre ses doigts et se blesse.

Baudry lui parle avec une affection qui ne se dément jamais ; l’autre lui répond avec une sécheresse, dont on a froid dans le dos. Toutes ses phrases tombent comme un couteau de guillotine. On le plaint, sans savoir où il souffre ; on s’empresse autour de lui ; mais cette âme fauve, c’est lui qui se donne cette épithète, a rompu tous les devoirs de l’honnêteté, tous les liens de la bienséance la plus vulgaire.

Ajoutez à cela que l’acteur, chargé du rôle, s’était fait, sans doute sur les indications de M. Vacquerie, une tête de galérien en rupture de ban. Des cheveux plats, sur un front pâle de voyou. Nous l’avions tous comparé à Gavroche ou à Jean Valjean. On était même allé jusqu’à. prononcer le nom de Dumollard.

Il était aussi répugnant à voir qu’à entendre : on eût dit un hideux crapaud, bavant ses imprécations contre l’ordre social, et lançant son noir venin sur la main qui s’avance vers lui. L’étonnement du public était extrême ; car enfin, nous ne comprenions rien à ce caractère. Que prétendait l’auteur en nous le peignant si affreux ? où voulait-il en venir ? avait-il un dessein caché ? Nous étions déjà vers la fin du troisième acte, et nous disions à ce petit drôle comme