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la jeune fille.

de satisfaction. Et nous le lirons ensemble.

Les douze travaux d’Hercule m’eussent paru une corvée moins grande que ce qu’exigeait de moi mon père.

Comment, entre trois cents pages, détacher dix lignes voulant dire quelque chose ? Le chapitre, passe encore ! Il me semblait, en y réfléchissant, que celui de la mort pudique de Virginie m’avait plus émue que les autres. Mais les maudites dix lignes ! Je les cherchais comme on cherche un trésor, pestant tout bas contre l’idée baroque de mon père. Enfin, un peu tremblante, au bout de trois jours, je lui apportai le résultat de mon dur labeur. Il ne rit pas, cette fois, et eut la charité d’approuver mon choix. Mais il m’expliqua pourquoi il eut préféré que j’aimasse tel passage plutôt que tel autre, et, pour me réconcilier avec les descriptions qui faisaient de ce livre un chef-d’œuvre, il me lut, avec un accent admirable, celle de la tempête. J’eus alors la sensation qu’un grand voile se déchirait et que je comprenais un peu. Ce fut ma première leçon, et peut-être celle qui se grava le plus profondément en moi. Depuis, sachant que mon père, jamais, ne transigerait sur le fameux chapitre, non plus que sur les dix lignes imposées, je m’appliquai à lire plus attentivement, soulignant cinquante passages,