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la jeune fille.

gée enfile des mots, des phrases et des volumes, et cependant, ma cousine, elle ne sait pas lire.

Je me souviens toujours avec émotion de la façon dont mon père s’y prit pour mettre au fond de moi cet amour de la lecture, qui ne me quitta jamais plus. Alors que je n’étais qu’une gamine, il choisissait avec soin les bouquins qu’il mettait entre mes mains et me disait :

— Tiens, ma petite fille, c’est un chef-d’œuvre que je te donne là, lis-le bien.

Un des premiers qu’il confia ainsi à ma jeune perspicacité fut Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre. Je vous prie de croire, ma chère cousine, que je ne fis qu’une bouchée de ce Paul et de cette Virginie, dont je rêvai la nuit entière. Je trouvai leur histoire ravissante, elle me fit pleurer d’attendrissement. Mais le lendemain, mon père, avec cet air bonhomme et malicieux qui m’intimidait si fort, m’interrogea tout comme une grande personne, en me demandant ce que « je pensais » de l’ouvrage.

— C’est très joli, fis-je, plus rouge qu’une cerise.

Et mon éloquence s’en tint là.

— J’entends bien, reprit mon père ; mais, si tu es une enfant intelligente, tu dois pouvoir m’en dire davantage. Est-il un passage qui t’ait frappée