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la lecture intelligente.

vierge pure ou de la fiancée trahie. Elle passe à côté de beautés qui devraient la faire tressaillir, sans même y prendre garde, et les laideurs ne l’embarrassent guère davantage. Tout lui paraît bon au même degré, et, toujours plus vite, elle tourne les pages, sautant, d’ailleurs, avec impatience des passages entiers — qu’elle traite de remplissage, parce qu’ils ne touchent pas à l’action romanesque, — pour arriver, enfin, à toute vapeur, au dénouement. Et si, ô bonheur ! il est selon son désir, elle ferme le livre avec une joie évidente, en le déclarant charmant.

Cette jeune fille-là, ma chère cousine, pourrait consommer trois cent soixante-cinq tomes par an, que son cerveau demeurerait toujours aussi vide, et son signe distinctif serait une incapacité de plus en plus notoire à reconnaître une belle œuvre d’une mauvaise. Elle se farcit la tête de fadaises, sur lesquelles elle ne raisonne pas. Elle ne sait ni coordonner, ni classer ses impressions ; elle ignore l’art de pénétrer la pensée intime d’un auteur, et plus encore celui de découvrir l’idée maîtresse qu’il a voulu développer. La moralité d’un livre, parfois d’allure un peu immorale, lui échappe et la scandalise, tandis que d’autres conclusions optimistes et incolores la transportent d’aise. Cette lectrice enra-