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où mène l’imagination.

grande mélancolie, et ayant, ce soir, la perspective d’un plaisir, elle, se torture l’esprit à trouver des raisons pour ne le point prendre, afin d’en avoir pour pleurer. C’est le propre de sa maladie.

Et, tout d’un coup, j’eus un serrement de cœur et la sensation aiguë que nous aussi, dans le monde des bien portants, nous fréquentons des grandes mélancoliques, qui s’arrangent à convertir leurs joies en larmes et déploient une habileté redoutable à se créer du chagrin.

— Maintenant que vous voilà aguerrie, reprit le docteur, je vais vous mener chez les agitées. Celles-là n’ont pas la permission du bal, ce serait trop dangereux pour leur état. Vous les verrez donc dans leur simple uniforme bleu, rayé de blanc.

Ce ne fut pas sans une certaine appréhension que je franchis la porte qui les isolait du monde. On redoute toujours ce qu’on ne connaît pas, et ce que je vis n’était pas fait pour me rassurer.

Sur une chaise, une jeune femme pâle, muette, aux yeux ardents ; par terre, une fillette accroupie, marmottant des litanies ; une sorte de gitana aux cheveux épars sur les épaules, tournant en rond au milieu de la cour, et, au fond, une forme humaine hurlant je ne sais quelles imprécations…