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la femme.

tous, indifféremment, d’abord, parce qu’ils sont mal écrits et que leur but évident est de spéculer sur l’inconvenance des situations et l’immoralité des lecteurs ; une honnête femme ne doit jamais frayer avec des auteurs de si mauvaise compagnie, pas plus qu’elle ne salue l’homme mal élevé qui l’accoste dans la rue. Pour eux, le doute n’est pas possible, et, si vous m’aviez demandé la liste des écrivains qu’il ne faut pas lire, je n’aurais pas eu une seconde d’hésitation. Mais vos « romans convenables » me mettent en bien plus cruel embarras.

Ainsi, Résurrection est un chef-d’œuvre, qu’on ne peut lire sans éprouver une immense pitié pour les humbles, sans être secoué du grand frisson de vie et de beauté que Tolstoï répand dans la plupart de ses ouvrages, et qui fait, de celui-là, une merveille impérissable… Et pourtant, ma cousine, est-il possible que je le range parmi les livres « convenables », dans l’acception que vous prêtez à ce mot ?

Je ne le crois pas. Mais je puis vous assurer qu’il est admirablement sain et qu’après l’avoir lu, vous vous sentirez meilleure, et que vous aurez l’esprit ouvert à des horizons nouveaux.

C’est un roman qui apprend quelque chose, selon l’expression de M. Legouvé, et c’est le vrai sens de la lecture.