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histoire d’un préjugé.

trement, gagnait à grand’peine de quoi tirer le diable par la queue. La maison, toute chargée d’enfants, était lourde, et, ce qui aggravait la situation, c’est que l’aînée, d’âge à se marier, commençait à sortir et à aller au bal.

N’oubliez pas, je vous en prie, cousine, que notre héroïne est une femme du monde : sinon, vous ne comprendrez goutte à la suite du récit.

La pauvre ne joignait pas les deux bouts, il est vrai, encore qu’elle se privât du nécessaire pour le superflu et qu’on ne mangeât point tous les jours à sa faim : mais on tenait son rang, ou, plutôt, on s’y cramponnait, et c’était l’essentiel !

Le mari faisait bien, en cachette, quelques travaux d’écriture ; mais ces bénéfices, trop maigres, ne suffisaient pas à payer les prodigalités du thé hebdomadaire qu’on offrait aux notables de la sous-préfecture pour y maintenir sa prépondérance, ni à solder les suppléments de frais occasionnés par l’ « extra » qu’on décorait — au jour de Madame — d’un tablier blanc et du titre pompeux de femme de chambre.

Le déficit augmentait chaque mois, chaque soir, chaque heure, et l’idée fixe de la chère créature, — martyre du monde ! — la pensée qui, nuit et jour, martelait son cerveau inquiet,