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la quarantaine

Tout le monde nous affirme toujours que nous serons bien. Singulière précaution ! Ne sommes-nous donc pas assez grands garçons pour reconnaître de nous-mêmes les bontés que l’on aura à notre endroit, si l’on en a ? Ou ne s’agit-il pas plutôt d’endormir nos craintes et de travailler pour nous insinuer des Allemands une opinion conforme à leurs désirs ? N’est-il pas de propagande intelligente de nous aveugler un peu, tout au moins dans les premiers jours, pour que nous nous laissions entraîner à écrire en France, à nos parents et amis, que la captivité chez les Boches est la chose la plus douce qui soit et l’espoir le plus cher que puisse nourrir là-bas, dans la tranchée mortelle, le soldat qui se fatigue ?

Nous avons le droit d’envoyer en France tous les mois deux lettres et quatre cartes postales. L’écriture en sera grosse et très lisible, sous peine de refus. Ces lettres seront de six pages, mais d’un format fixé. La kantine nous vendra du papier réglementaire, naturellement. Si la correspondance que nous expédions est limitée — et il faut qu’elle le soit, car, dans les loisirs que nous avons, nous passerions les heures à écrire et à encombrer le bureau du censeur, — nous pourrons en revanche recevoir autant de lettres, de cartes et de colis postaux de 5 kilogrammes, qu’on nous en enverra, et cinquante par jour, si cela nous plaît.

Dès demain nous écrirons notre première carte, et celle-là sera expédiée tout de suite, par faveur spéciale, sans être assujettie au retard systématique de dix jours qui est de règle pour les correspondances des prisonniers, tant au départ qu’à l’arrivée. Ainsi