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le purgatoire

nelle est de moins en moins tranquille en m’entendant réciter :

Ich weisz nicht was soll es bedeuten,
Dasz ich so traurig bin.


Mais je me tais sur ce mot, car je sais trop pourquoi je suis triste. Jusqu’à Mainz, où le train s’arrête à midi, je me perds dans les souvenirs de chez moi. Voilà ce que m’a fait la Lorelei.

Mainz, que nous appelons Mayence. Grande ville. Une honte affreuse nous serre le cœur. Nous allons probablement défiler à travers des rues pleines de passants, car c’est aujourd’hui dimanche, et midi est l’heure de la foule. Nous ne pouvions pas arriver à Mayence en un moment plus mal choisi pour nous. Il va falloir se raidir sous les regards de ces Allemands qui sont nos maîtres à nous, vaincus et prisonniers. Et où irons-nous ? La promenade à travers la cité sera-t-elle longue ? Les soldats et les officiers boches, qui deviennent de plus en plus arrogants à mesure que nous nous éloignons de la zone des armées, auront des sourires satisfaits et narquois. Oh ! la honte ! la honte, inconnue jusqu’à cette heure, nous allons la connaître.

Les quais de la gare sont aussi déserts que ceux de Coblence. On ne voyage donc pas pendant la guerre, en Allemagne ? Ou les cités vastes sont-elles vides maintenant ? Y aura-t-il plus d’animation dans les rues, à notre passage ?

Nous nous préparons à descendre. Mais nous ne descendons pas.

— Pas encore, nous dit-on ; plus loin.