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cobern-coblence-mayence

prescrit de ne pas laisser le savon dans l’eau trop longtemps, quand on se lave les mains. Et je note que pas une inscription irrévérencieuse ne commente au crayon une de ces phrases de l’Au-to-ri-té. On ne badine avec la loi en Allemagne. Mais les vagons, même ceux de 3e classe, même pendant la guerre, n’y sont pas des écuries plus ou moins mal désinfectées. J’aime trop ma France pour ne pas souffrir de ses petits défauts.

Pendant que nos camarades luttent là-bas, dans la neige et la boue, sous les obus et les balles, nous allons, nous, « faire les bords du Rhin ». En toute autre saison, ce voyage serait peut-être charmant. Mais, dans les circonstances présentes, il ne saurait l’être, et je suis persuadé que je goûterai peu le pittoresque de ces paysages fameux. Je ne tenterai pas de les décrire, d’abord parce que je les ai mal vus, ayant l’esprit trop inquiet et le cœur trop ailleurs, ensuite parce que je n’ai pas l’intention de développer dans ce livre les souvenirs d’un voyage en Allemagne et parce que mon seul but est de dire ce qu’un prisonnier a vu en Bochie, pendant la guerre, ce qui est différent.

D’autre part, ces paysages sont connus. Le fleuve coule à notre gauche, large, calme, sillonné de bateaux marchands tirés par des remorqueurs. Ses rives abruptes, la terre, les rochers, l’eau et le ciel, tout a une teinte à peu près uniforme gris-bleu d’ardoise. Des brumes voilent les lointains. C’est d’une étrange mélancolie. Sur les flancs des montagnes, à notre droite, la vigne pousse, maigre et chétive, au milieu des cailloux et, pour ne pas perdre un coin de sol,