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le purgatoire

Un arrêt assez long était prévu pour nous ici. Car tous les prisonniers du train devaient défiler dans l’immense baraque pour y savourer un bol de la soupe incroyable. Notre gros embusqué de feldwebel ne se lassait pas de causer. Il parlait le français sans trop de difficulté et il nous montrait sa joie de causer avec des officiers français. Songez donc ! Ces officiers français, ces terribles hommes, si dangereux par l’épée ou par l’ironie, il en tenait plusieurs qui étaient prisonniers, qui représentaient la grande victoire allemande de Verdun. Ach Gott ! quel succès, demain, chez madame la doctoresse Otto Krantz ou chez madame la première adjointe de la Sous-Présidence de la Société des Déménagements des Régions Occupées, quand lui, si musqué dans sa charmante tenue de campagne, raconterait qu’il avait eu entre ses mains des officiers français et que véritablement ils ne lui avaient pas fait peur. Un frisson courrait sur les chairs épanouies de ces dames, et Frida von Wurtzel adresserait au cher et intrépide fiancé un sourire plein de gemütlichkeit. Car il est important de pouvoir dire son mot des affaires de Verdun. Que sait-on au juste par les journaux ? Ils mentent peut-être. Depuis huit jours et plus, ils annoncent la chute de la ville comme imminente, comme chose faite, et on ne sait jamais rien de plus. Ah ! l’armée du Kronprinz prendra-t-elle Verdun ? Verdun, c’est la clef de la guerre. Qu’en pensent messieurs les officiers prisonniers ? Qu’en pense la France ? Que Verdun ne sera pas pris ? Cette angoisse est affreuse. Décidément, le feldwebel aura un beau succès dans les salons de Cobern.