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comme un bétail malpropre. Quoi qu’il en soit, la vendeuse brune de Cobern me vend quelques tablettes de chocolat, des cigares, des allumettes et, parce que le vin et la bière sont interdits aux prisonniers, deux bouteilles de Bellthal, eau minérale, légèrement gazeuse, spécialité des environs. Deux civils s’étaient effacés devant moi, sans m’adresser la parole d’ailleurs, mais non sans une nuance de déférence sensible, car pour un Allemand un officier, même sous-lieutenant, même Français, est un personnage considérable et quelque chose de sacré, pour ainsi dire. Et j’avoue que l’on éprouve une saine fierté à lever la tête devant ces esclaves. Enfin, je ne pouvais pas m’éterniser à la kantine, et, salué par un aimable « Atieu » de la vendeuse, et suivi de mon garde du corps, je regagnai mon vagon.

Je trouvai le capitaine en conversation animée avec un jeune feldwebel, gras, rose, poupin, indécent de santé et de vie. Il était vêtu d’un uniforme gris de campagne d’une coupe parfaite et d’une correction incontestable, et sa casquette venait du meilleur chapelier. Ah ! que d’élégance, quoique bouffie, et comme on sentait en ce jeune Allemand la fine fleur de la bourgeoisie cossue, pansue et repue ! Embusqué, certes oui, il l’était, ce feldwebel, et avec une impudence, un sans-gêne et un naturel où ne peut atteindre qu’un embusqué de chez eux. Débordant de santé, il se déclarait satisfait de son sort et il ne baissait pas la voix pour affirmer qu’il aurait pu être officier, s’il avait voulu, mais qu’il aimait mieux être feldwebel à Cobern que leùtnant ou haùptmann devant Verdun. On n’est ni plus cynique, ni plus simple.