velles hésitations. Il y a là trois voitures de voyageurs, et dans toutes nous apercevons des officiers français. Les groupes d’amis qui ne veulent pas se disloquer s’arrangent entre eux. Le capitaine V***, T*** et moi, nous trouvons de la place dans le même compartiment. Un capitaine et un lieutenant sont déjà installés. Nous nous serrons la main. Ils viennent de Stenay, où est logé le quartier général du Kronprinz, commandant en chef des troupes d’assaut de Verdun.
Le lieutenant de W*** est blessé à la joue : un éclat d’obus lui a déchiré les chairs à partir de la bouche. Au premier poste de secours allemand, on l’a recousu tant bien que mal, et plutôt mal que bien. W*** est très affable. Avocat, il partageait sa vie entre Paris et Douai, où sa famille est encore bloquée. Sa voix est frêle et pleine de charme.
Les quatre coins du vagon sont occupés par des soldats en armes. La plupart ne présentent aucun caractère particulier. Mais, en face de moi, j’ai une tête bien connue : un troupier boche, vêtu de la capote sombre de l’ancien uniforme, et coiffé de la calotte ronde à bandeau rouge de l’infanterie. Il a de gros yeux bleus, une mâchoire carrée, des pommettes saillantes. Il regarde autour de lui d’un air stupide, comme s’il était à la fois satisfait et gêné d’être assis au milieu d’officiers qui sont les prisonniers de sa grande Allemagne. C’est le type classique du boche de Hansi, lourd et grotesque. Il a la peau rose et luisante. On songe à une vitrine de charcuterie. Et, pour comble, cet homme pue terriblement des pieds. Par moments, il m’arrive de ses bottes à tige demi-courte une odeur fétide qui me donne des nausées,