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l’usine de pierrepont

Le feldwebel, qui commande le poste de police chargé de nous garder, est un homme grand, maigre, à la figure en lame de couteau et aux yeux gris. Il est coiffé de la casquette à visière. Par ses allures moins raides, il tranche sur tous les autres soldats que nous avons vus. Il affecte un laisser-aller qui détonne parmi les mannequins de l’armée allemande. Pour donner un ordre à ses hommes, il ne se croit pas obligé de hurler. À chaque instant, il se rapproche de nous pour nous dire quelques mots mi-français mi-allemands, qui n’offrent aucune espèce d’intérêt mais qui évidemment veulent être aimables. C’est lui-même qui nous propose de nous découvrir en ville un peu de schnaps, si nous en désirons ; mais il nous fait sa proposition à voix basse et nous demande de ne parler de rien aux hommes de garde, dont il se méfie. Ces façons nous déconcertent. Je lui remets ma petite gourde de poche, qui porte la marque d’un coup de crosse, et il nous quitte pour retourner auprès de ses camarades. Quel drôle de personnage ! Est-ce que son affabilité ne cacherait pas un piège ?

Brusquement, des éclats de voix éveillent notre attention. Grande dispute dans le poste de police ! Nos gardiens causent de la guerre, de la paix, de Verdun, le tout dans un brouhaha guttural où plus d’une phrase nous échappe. Mais ce que nous saisissons bien, c’est que le feldwebel fait plus de bruit que les autres, et notre stupéfaction est sans pareille, d’entendre la harangue pacifiste et antimilitariste dont il écrase ses hommes. Il affirme ses convictions de social-démokrate avec une assurance qui ferait sourire de pitié le grand état-major de la social-démokratie