Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à Roland Dorgelès


CHAPITRE IV

l’usine de pierrepont
(11 mars 1916).

Bien des combattants l’ont déjà noté : nul n’a jamais dormi d’un sommeil plus profond que les soldats pendant la guerre. Aussi faisait-il grand jour quand je me réveillai dans l’immense corps de garde de l’usine de Pierrepont, le 11 mars 1916. Si je fus surpris de me trouver là à 7 heures ½ du matin, ce fut uniquement parce qu’on nous avait annoncé que nous partirions dans le courant de la nuit.

Accroupis sur nos paillasses à la manière des Arabes, les cheveux en désordre et les yeux gonflés, nous formions un groupe lamentable. Ah ! puisque nous ne partions pas encore, pourquoi nous avoir réveillés ? Pour boire cette infâme boisson tiède, fade et si peu colorée, que je me refuse à nommer café ?

Les officiers français, prisonniers comme nous, et qui ont couché dans une petite pièce attenant à la nôtre, sont déjà debout. Depuis trois jours, ils sont enfermés dans l’usine détruite. Depuis trois jours, on leur dit chaque matin : « Vous partirez ce soir. » Et chaque soir on leur dit : « Vous embarquerez cette