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de rouvrois à pierrepont

mois il a faim, il ne sait rien de ce qui se passe chez lui. Un jour, le maître brutal, désespéré de sa résistance, lui annonce qu’il s’est emparé de Verdun. Et l’esclave, avec son bon sens et sa foi éternelle, lui répond :

— Ce n’est pas vrai.

Homme d’Arrancy, qui que tu sois, Français que je ne reverrai peut-être de ma vie, tu m’as donné une belle leçon. Le peuple d’où tu sors ne peut pas être vaincu. Et ta forte parole me fait oublier ce que j’ai vu ensuite dans ton village d’Arrancy. Je t’avais rencontré avant d’y entrer.

Quel spectacle navrant en effet, quelle douleur à chaque pas renouvelée ! Voici une jeune femme qui vient vers nous. En riant elle adresse quelques mots au hussard qui nous précède, fait un pas, prend un air tragique, nous demande en passant :

— Ça ne va donc pas ?

Et, sans attendre notre réponse, elle lance déjà des plaisanteries aux soldats qui nous suivent.

Dans toutes les maisons, il y a des soldats allemands. Par les fenêtres ouvertes, car on veut nous voir, c’est nous qui voyons. Les Allemands sont là comme chez eux, installés en famille. Est-il possible que cette chose soit ? N’est-ce point par la terreur qu’ils ont occupé nos pauvres foyers sans défense ? Hélas ! Un de mes camarades m’apprend que, déjà, avant la guerre, ce pays était infesté d’Allemands plus ou moins déguisés, qu’on n’y dissimulait ni de la sympathie pour l’Allemagne, ni de la défiance et de la mauvaise humeur contre nos troupes quand elles y cantonnaient. Faut-il que je le croie ? Mais devant ces horreurs, comme