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longueur, et, pendant un kilomètre environ, nous reprenons la mauvaise route par où nous sommes venus. Nous croisons un assez long convoi d’artillerie : quatre gros canons montés sur des chariots massifs aux roues énormes, chacun d’eux tiré par huit chevaux. Et tout de suite après, nous entrons dans la nuit, dans la neige, dans la boue et dans le froid. Nous avançons à grand’peine, sans savoir comment nous nous tenons encore debout.

À la première halte que nous faisons, nous nous asseyons sur un talus du chemin tout couvert de neige, et le mouvement seul que nous faisons pour nous asseoir nous est une douleur de tout le corps. Qui n’a pas connu la fatigue à sa dernière période, ne pourra pas me comprendre. J’avais conservé, dans la poche de ma capote, ma carte d’état-major au 1/80.000e, la seule que nous eussions à notre disposition au début des affaires de Verdun. Le capitaine me la demande, et nous cherchons à nous situer dans l’espace, puisque le temps ne compte plus pour nous. À la clarté de la lune et à la lueur d’une allumette, nous nous trouvons sans difficulté. Voici le ravin du Bois-Chauffour, voici les Chambrettes, voici Villes, Azanne, Mangiennes, Pillon, et voilà Rouvrois. Nous avons déjà fait une douzaine de kilomètres. Nous en avons encore une trentaine à faire pour parvenir à Rouvrois, terme de notre voyage, jusqu’à nouvel ordre. Trente kilomètres ! Est-ce possible ? Mais les ferons-nous ? Mais comment les ferons-nous ? Il neige toujours. Il fait froid. La route est complètement défoncée. Nous enfonçons dans les ornières. Nous glissons dans des trous profonds. Véritable marche au Calvaire. Nous marche-