Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
des chambrettes à rouvrois

Mais nous sommes prisonniers, et nous n’avons qu’à nous laisser conduire.

De grandes ombres trapues se découpent sur le bord de la route.

— Des minenwerfer tout neufs, nous dit le cuirassier.

Il y en a une douzaine, qui attendent sous la neige. À leur suite deux masses plus hautes et plus longues, plus élégantes aussi : ce sont deux canons lourds, mais des canons français, de 155, pris à nos artilleurs. Nous les reconnaissons sans avoir recours aux complaisances un peu trop crues de notre guide.

Un convoi nous précède. Un carrefour est encombré de voitures et de chevaux. Dans le désordre et le brouhaha, des blessés légers gagnent par leurs propres moyens le premier poste d’évacuation. L’un d’eux, qui a gardé son fusil, nous apostrophe violemment. Le cuirassier lui fait remarquer que nous ne comprenons pas. Et lui, s’emportant, déclare qu’il faudra bien que nous comprenions et que nous parlions l’allemand, comme tout le monde, car personne n’aura plus le droit de connaître une autre langue que la leur. Ce troupier de deuxième classe, socialiste ou césarien, est un pangermaniste convaincu.

Comme cette marche est pénible ! Nous glissons, nous tombons, nous soufflons, nous avons soif. Précisément nous touchons à une espèce de bivouac. Un soldat boche, sous une petite baraque en plein vent éclairée par une lanterne, travaille à je ne sais quelle réparation. Le cuirassier l’appelle et lui demande s’il a de l’eau à nous donner. L’homme n’en a pas, mais il prend un de nos bidons et disparaît pour aller