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le purgatoire

nières très profondes, qui lui donnent un aspect irréparable, il nous dit :

— Après la guerre, ça vous coûtera cher, la remise en état de ces chemins, ils sont bien abîmés. Partout c’est pareil. De même pour vos forêts : nous les avons complètement déboisées.

Dans ce paysage de neige et de misère, cette phrase, moins charitable que cynique, car le cuirassier ne regrette rien, nous brise le cœur. Répondre ? Et quoi ? Que les coupables seront punis ? Qu’ils seront condamnés à payer ? Mais ne faut-il pas retenir cet aveu d’un simple soldat, qui marque leur impuissance désormais certaine, qu’ils ne semblent plus espérer garder pour eux ces terres qu’ils occupent en Belgique et chez nous ?

Tout en devisant tant bien que mal, nous arrivons à hauteur de l’ancienne première ligne française, celle du 20 février 1916. Nous n’en voyons pas grand’chose. De chaque côté de la route partiellement refaite, nous apercevons des éléments de tranchées clayonnées, des sacs à terre, des créneaux, un réseau de fils de fer. Ce petit coin du champ de bataille paraît intact, ou du moins peu endommagé. Autant que la nuit nous le permet, nous remarquons aussi que la position est telle que nous l’avons perdue et que, comme nous disons en style militaire, les tranchées n’ont pas été « retournées » contre nous par les Allemands en vue d’une défense probable.

La route est longue et pénible, et nous sommes fatigués. Le cuirassier ne sait pas très bien où il nous conduit. Il parle d’Azanne et de Villes, sans que nous puissions démêler si nous allons à Villes ou à Azanne.