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des chambrettes à rouvrois

baragouinons, le capitaine et moi, un peu d’allemand, souvenir des leçons du collège. Pourtant nous parvenons à nous entendre à peu près.

Il est Prussien, il est sur le front depuis le début ; il a pris part aux premières batailles dans le Nord, quand c’étaient encore les jours de la cavalerie et des combats d’hommes. Il nous dit, ce que nous avons déjà entendu plus de dix fois depuis que nous sommes prisonniers, que pour nous la guerre est finie. Il accompagne sa phrase d’un soupir de regret, et nous demande si nous croyons et si l’on croit en France que « ça durera longtemps encore ». Comme nous n’avons aucune raison de lui dorer la pilule, le capitaine V*** lui répond :

— Quand la France sera kapùt (abattue, morte, détruite), quand l’Allemagne sera kapùt, il ne restera plus debout que les Anglais. Alors, la guerre sera finie, — dans deux ou trois ans.

Tristement, le cuirassier approuve. Il n’aime pas l’Angleterre. Il suit la mode. Lecteur docile des journaux, il n’en veut à la France ni du mal qu’ils ont voulu nous faire, ni du mal qu’ils nous ont fait, ni de tout le mal qu’ils n’ont pas pu nous faire, précisément parce que l’Angleterre les empêcha de mener jusqu’au bout leur fureur. Et maintenant l’Allemagne déteste cette France si pitoyable qui s’est défendue, mais elle hait terriblement l’Angleterre, car l’Allemagne a fini par découvrir pour les besoins de sa cause et par imposer à ses hommes cette idée que c’est l’Angleterre qui a cherché la guerre. Le cuirassier prussien s’apitoie en effet sur notre pauvre France. Comme la route que nous suivons est labourée d’or-