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le purgatoire

sont silencieux. Ils nous regardent passer, ne nous reconnaissent peut-être pas, s’écartent, et ne disent rien.

Il tombe de la neige en flocons menus et du verglas. La route est défoncée et creusée d’ornières profondes. Nous glissons. Il faut se raidir pour éviter les chutes, et on ne les évite pas toujours. Le cuirassier, qui a toutes les peines à tenir son cheval, met pied à terre.

Peu à peu, lentement, nous nous éloignons du champ de bataille et de la ligne de feu. Les obus français ne nous gênent plus. Les carrefours sont libres. Notre artillerie n’entrave pas à cette heure, et si loin, le travail nocturne, toujours si intense. Des coups de canon nous arrivent assourdis. Nous sommes prisonniers. C’est la pensée obsédante. Nous sommes des vaincus, et nous marchons vers l’exil. Quel sort nous est réservé ? Et surtout, comment préviendrons-nous ceux qui vont s’inquiéter là-bas ? Nous n’avions jamais prévu que nous pourrions tomber vivants aux mains de l’ennemi. Demain, les papiers officiels nous porteront comme « disparus ». Or, nous avons trop souvent répété nous-mêmes que « disparu » est un mot de politesse et de pudeur qui cache un autre mot, trop pénible. Seront-ils rassurés, et quand seront-ils enfin rassurés, ceux qui peut-être dans quelques jours nous pleureront ? Mornes et douloureuses pensées, que notre fièvre ressasse à loisir.

Le cuirassier essaye de lier conversation. Va-t-il nous demander si nous croyons qu’ils prendront Verdun ? C’est un grand gaillard maigre, sans manteau, coiffé du casque à pointe. Il baragouine un peu de français, appris dans nos villages occupés, et nous