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le purgatoire

grisonne. Il parle lentement et difficilement le français, mais enfin il le parle. Il a le regard terne. Il est courtois. C’est le moindre de ses devoirs de nous interroger. Il nous pose donc les ordinaires questions, mais sans conviction. L’oberst a l’air gêné.

— Où avez-vous été pris ?

En même temps, il nous indique, sur la carte déployée devant lui, l’emplacement exact de notre tranchée. Il continue :

— Par qui ?

… Avez-vous eu beaucoup de pertes ?

… Beaucoup de prisonniers ?

… À quel effectif étiez-vous ?

… Avez-vous beaucoup de réserves devant Verdun ?

Ils savent que nous ne répondrons que ce que nous voudrons laisser perdre et que nous ne leur livrerons rien qui puisse leur être utile. Le vieil oberst aux yeux vides semble bien ne nous interroger que pour la forme.

Là-dessus, il est embarrassé. Il nous demande si nous avons faim et si nous avons soif. Il nous offre du café, du cognac, des cigares. Et il ne peut se retenir de nous poser la question que nous attendons :

— Croyez-vous que nous prendrons Verdun ?

C’est leur grande inquiétude nationale.

Le capitaine réplique sans broncher :

— Vous auriez pu prendre Verdun, le premier ou le deuxième jour de votre offensive, oui, peut-être. Mais maintenant il est trop tard, vous ne l’aurez pas.

Le vieil oberst nous regarde attentivement, et sourit. Mais je ne saurais démêler s’il sourit parce qu’il a