Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
le purgatoire

chose, je vous le jure. En traversant tout à l’heure l’emplacement de la cinquième pour venir ici, j’ai rencontré au moins autant de cadavres à eux qu’à nous. Quant à progresser au delà de notre tranchée, ils ont dû y renoncer. Des mitrailleuses les tenaient en respect. Au débouché, juste devant le trou d’obus qui me servait de dépôt de fusées, il en est tombé une quinzaine. Ils n’ont pas insisté.

On nous conduisit enfin à un officier, à un major[1], lequel, sortant d’un confortable gourbi, ne nous dit presque rien.

— Vous êtes officiers ?… Combien ?… Capitaine ?… Ah, capitaine… et lieutenants ?… Ah, lieutenants… et adjudant ?… Ah ! capitaine, active ? réserve ?… Votre tranchée est prise ? Vous avez beaucoup de pertes ?…

Et, sans écouter nos réponses, il regagna son terrier.

Un tout jeune leùtnant, pimpant, coiffé de la casquette et décoré de la croix de Fer de je ne sais quelle classe, officier d’état-major sans doute, à en juger par son uniforme trop propre, ajouta quelques mots aux paroles du major.

— Vous êtes blessés ?… On vous soignera… Vous êtes fatigués ?… On va attendre encore un peu, parce qu’il fait encore trop clair et qu’on est vu de votre artillerie sur la crête, et on vous conduira au colonel.

Il s’exprimait parfaitement en français.

Il nous demanda si nous pensions qu’ils prendraient bientôt Verdun, et, la nuit venant, il nous emmena.

  1. Major = Chef de bataillon, commandant.