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la faim en allemagne

Prodigieuse source de remarques. Ne nous attardons pas sur la boursouflure héroïco-sentimentale et les prétentions lyriques du style : elles sont trop allemandes, et nous avons d’autres soucis. Mais notons en passant, pour notre connaissance de la psychologie des Barbares, les regrets si émouvants d’un « estomac affamé », ce rêve de figues, de bananes, de tendres olives, d’huîtres, de truites, de truffes et d’entrecôtes de buffle, alors que Kory Towski de son côté regrettait les dindes, les saumons et le caviar du bon temps de paix. Prenons acte aussi de cet aveu d’un « temps rigoureux » et d’une « nécessité qui ronge ». La faim allemande n’est pas un mythe. La voilà bassement proclamée en phrases cadencées. J’ai traduit ces vers littéralement, en serrant le texte au plus près et sans outrer le sens ou la force des mots. Rien de plus grave que le ton de ce chant qui veut avoir par endroits des allures quasi mystiques. Qu’on ne s’y trompe pas. Moi-même, d’abord, j’ai cru à une plaisanterie d’un poète à la Franc-Nohain ou à la Raoul Ponchon. Il n’en est rien. Le poème d’Emil Claar est un hymne. La fantaisie est inconnue des poètes allemands, et pendant la guerre plus que jamais. C’est sans la moindre ironie que la pomme de terre est ici la réconfortante sœur du pain sec, et le trésor de la glèbe féconde, et l’aide de l’estomac affamé, et la perle de la maison bourgeoise allemande, et le banquet sacré de la satisfaction, et la sauvegarde du peuple élu. Peut-on nier, après ces plaintes authentiques, que l’Allemagne ait souffert de la faim ? Et vous représentez-vous, bonnes gens de France, ce que dut être la faim de vos enfants prisonniers en Allemagne ?