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la faim en allemagne

jours à l’eau. Rien de plus. Pas un gramme de beurre, pas un gramme de graisse, pas un gramme d’un produit quelconque analogue à la cocose ou à la végétaline, et pas une goutte d’huile ne tombait dans les marmites. Essayez de vous représenter ce que peuvent avoir d’appétissant, préparés de cette manière, si c’est là une préparation, des choux rouges, ou des betteraves, ou un mélange de carottes et de navets, ou des choux-fleurs. Avez-vous déjà mangé de la salade sans huile et sans vinaigre ? Je croyais que les lapins monopolisaient ce régal. Tendriez-vous le bras pour une nouvelle assiettée d’un potage éternellement Kubb ou Maggi ? Et surtout, vous suffirait-il à dîner de cette mixture innommable qu’est une bouillie de semoule accompagnée d’une marmelade acide ? Et surtout, et surtout, enfin, feriez-vous vos beaux dimanches de ce menu du soir que je vous recommande : deux bouchées de fromage de gruyère et une tasse de cacao à l’eau ? Pour terminer, et afin de répondre à l’objection que vous me feriez en me rappelant que des pommes de terre, faute de mieux, constituent un plat consistant, je vous révélerai que chaque rationnaire n’avait droit qu’à une livre de cette précieuse denrée, soit, par repas, trois kartoffeln de taille moyenne et souvent plus ou moins avariées. Et maintenant, je vous demande de relire ce tableau de notre alimentation, pendant la semaine du 2 au 8 octobre 1916. Aucun élément ne vous manquera pour juger. Mais je ne crains plus vos objections, et vous vous écrierez :

— Mais vous mouriez de faim ! Mais on vous traitait comme des pourceaux ! Et c’est pour cette cuisine