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l’hôpital d’offenburg

La captivité en commun ne pousse pas l’homme à cette dionysie chantée par leur Nietzsche. La réclusion dans une chambre d’hôpital, croyez-vous qu’elle incite aux molles rêveries ? Le soldat, meurtri dans sa chair, qu’on laisse seul en face de la solitude, tout à ses chagrins intimes, sur quoi se greffent l’horreur de l’exil et l’incertitude de l’avenir, que voulez-vous qu’il fasse pendant une longue journée de dimanche ? J’avais emporté quelques livres de Vöhrenbach. Pas un ne fixa ma pensée. Depuis l’aurore, j’étais debout. La fenêtre, ouverte sur le parc, ne me donnait vue que sur des arbres de premier plan. Spectacle émouvant s’il en fut.

La Frankfùrter Zeitùng me tira de l’engourdissement. En cette fin de juillet, la lecture d’un journal était un réconfort à ne pas négliger. L’offensive de la Somme inquiétait les Boches. L’offensive russe d’autre part les occupait aussi. Les critiques militaires pataugeaient dans des dissertations vaseuses qui sentaient le désastre de vingt lieues. Quinquina de qualité supérieure pour un prisonnier.

Au lavabo, qui se trouvait en face de ma chambre et dont je n’étais séparé que par un étroit couloir, je rencontrai l’un des deux soldats français dont le Suisse m’avait parlé. Côte à côte sous les robinets bruyants, au milieu des Boches, à moitié nus comme nous et comme nous penchés sous l’eau froide, nous causions. Je lui résumai le communiqué du jour. Il me regardait avec des yeux hagards.