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le purgatoire

sourire machiavélique poussait le cheval vers l’ennemi. Rien de plus sournois. Je haussai les épaules.

L’express, entrant en gare, fit diversion.

Le vagon de deuxième classe où nous montâmes avait un couloir central. Tout un compartiment était occupé par une famille belge, deux hommes, quatre femmes, une fillette, qui revenaient d’un camp d’internement et qui retournaient chez eux, à Charleroi, sous la surveillance d’un feldwebel. Je m’inclinai devant ces malheureux. Mon geste ne fut pas du goût du doktor Rueck. Je le sentis à l’arrogance avec laquelle il me commenta le « crime de Carlsruhe ». La presse allemande n’était pleine que de cris d’épouvante, d’horreur et de réprobation. Songez que, las de tendre le cou sous les bombardements des villes ouvertes, les Français s’étaient avisés de lâcher quelques bombes à Carlsruhe, capitale du Grand-Duché de Bade. L’une d’elles était tombée sur un cirque au moment d’une représentation, et un grand nombre d’enfants avaient été tués.

— C’est la guerre ! répondis-je au médecin, en lui renvoyant une expression populaire dont les Allemands nous fermaient la bouche à chaque instant. Et j’appuyai :

— C’est la guerre que vous avez voulue. Il ne fallait pas nous donner l’exemple en désignant Paris comme objectif à vos avions et à vos zeppelins.

— Mais Paris est une place fortifiée !

— Autant que Carlsruhe.

— Les forts…

— Bombardez les forts qui sont autour de Paris, soit. Mais ne confondez pas Notre-Dame avec un